Smashing Conference Freiburg 2025

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Deux jours à Freiburg, un air de rentrée, et une belle brochette de talks qui ramènent le web à l’essentiel: des bases solides, des expériences inclusives et des interfaces qui respirent mieux.

Brad Frost — Is Atomic Design Dead?

Brad a remis Atomic Design dans son contexte: ce n’est ni une baguette magique ni un dogme, mais un langage commun pour aligner design et dev autour de composants, tokens et standards ouverts. Le vrai boulot est organisationnel: réduire la variabilité inutile (50 gris, 4 fontes), clarifier la gouvernance, et connecter le design system aux objectifs produit. Il souligne l’élan autour des design tokens (“subatomic”) et d’initiatives comme Open UI pour rapprocher les patterns des primitives du web.
Le message clé: un design system vit s’il est utile et interopérable. On privilégie la modularité (tokens, primitives), des docs actionnables, et des choix par défaut forts. Pour des multi‑brands, on pense “core + extensions”, pas clonage. Et on reste pragmatique sur les stacks (Web Components vs React): optimisez pour la durabilité, pas pour l’effet de mode.

Emily Anderson — Beyond the Happy Path

Emily nous a invités à concevoir pour les chemins “pas heureux”: erreurs, états émotionnels, contraintes réelles. Elle propose des “lenses” pour zoomer/dézoomer, identifier les risques, rendre le contrôle à l’utilisateur et relier l’impact utilisateur à l’impact business. Ajouter de la friction peut être souhaitable si cela sert la clarté, la sécurité et l’éthique.
Concrètement, on introduit le risque tôt (recherche, prototypage), on documente ce qui peut mal tourner, et on conçoit des messages qui soutiennent plutôt qu’ils n’enjolivent. Pour convaincre, on mesure le coût des “unhappy paths” ignorés: support, churn, conformité. Mieux vaut un parcours un peu plus lent et clair qu’un “delight” superficiel.

Nick Desbarats — Why Aren’t People Using My Dashboard?

Nick a pointé le défaut principal des dashboards: ils ne répondent pas aux questions basiques (“c’est bon ou mauvais ?”, “que dois‑je faire ?”). Sans contexte, seuils, priorisation et signaux d’action, l’interface reste décorative. Les utilisateurs disent “trop occupé” quand la valeur n’est pas évidente.
La recette: intégrer des cibles, des écarts, des annotations, et mettre en avant les éléments nécessitant une action. Réduire les chartes à l’essentiel, bannir l’ambiguïté (axes, unités), et offrir des explications “just‑in‑time”. Le but n’est pas la liberté totale de composer un mur de graphes, mais de soutenir des décisions concrètes.

Ana Rodrigues — Maintaining and Modernising Legacy CSS

Ana a proposé une approche réaliste du CSS legacy: cartographier (outils comme cssstats), définir des objectifs mesurables (poids, duplication, portée), et moderniser par couches plutôt que tout réécrire. Les cascade layers peuvent “parquer” l’ancien style pendant que l’on introduit des patterns sains.
On priorise les quick wins à faible risque, on isole les effets de bord via des tests de régression visuelle et on introduit progressivement des conventions (naming, scopes, variables). Si la migration est nécessaire, on pense “strangler pattern”: nouvelles zones propres, anciennes encapsulées, métriques pour guider le rythme.

Kardo Ayoub — Well, I Didn’t See That Coming!

Kardo a partagé son parcours de designer malvoyant: l’accessibilité n’est pas un appendice, c’est une posture. Ses anecdotes rappellent qu’une interface inclusive doit survivre aux vrais contextes: contrastes, focus visibles, alternatives non visuelles, navigations robustes.
Il appelle à normaliser la demande d’aide, intégrer des personnes concernées dans les équipes, et utiliser l’IA avec discernement: utile pour personnaliser et tester, risquée si elle “lisse” les interfaces au détriment de la clarté et du contrôle.

Matthias Ott — Painting With the Web

Matthias nous a poussé à “peindre avec le web”: abandonner le mythe du pixel‑perfect statique pour embrasser un médium fluide. Concrètement: typographie et grilles fluides, composants résilients, progressive enhancement et design en navigateur.
Il plaide pour des livrables plus vivants (prototypes, “design tokens + stories”) et des équipes hybrides où dev et design se rencontrent plus tôt. Le but: produire des interfaces adaptatives, accessibles et durables, sans sur‑spécifier ce que le web fait déjà bien.

Scott Jehl — Delivering for Performance

Scott a déroulé des pratiques qui bougent les métriques: optimiser le LCP (pas de loading=lazy sur l’image clé, fetchpriority=high), inliner le CSS critique, héberger ses fontes, utiliser HTTP 103 Early Hints, et surveiller via CrUX/SpeedCurve/WebPageTest. Les perfs, c’est de la discipline, pas des hacks isolés.
Il rappelle aussi de s’attaquer aux tiers et à la livraison (mise en cache, spéculation de navigation) avant de micro‑optimiser. Et oui, beaucoup de gains viennent d’un HTML côté serveur propre; les frameworks doivent coopérer plutôt que cacher la complexité.

Oliver Reichenstein — Philosophy for Designers

Oliver a ramené la philosophie dans la pratique: la connaissance du “faire” (Vico) et le respect de l’attention. On commence par la lisibilité (typo, hiérarchie), on dit quelque chose d’utile, et on coupe le superflu. Une bonne interface, c’est d’abord un bon texte bien présenté.
Il questionne aussi la tentation du “cool” et du bruit: le design gagne en qualité quand il s’ancre dans la clarté, la pertinence et l’éthique, pas dans la surenchère.

Manuel Matuzović — Teaching an Old Dog New Tricks

Manuel a montré comment le “nouveau CSS” libère: fonctions, couleurs perceptuelles, custom properties, patterns modernes — à condition de remettre en cause les habitudes héritées. Sur un projet neuf, il réévalue chaque ligne et prouve que la simplicité bien pensée remplace des couches d’outils.
Transposable au legacy, son approche encourage la documentation des décisions CSS, l’exposition des variables, et des composants vraiment indépendants de l’outil (oui, même si vous aimez Tailwind, gardez la compréhension du CSS).

Kevin Hawkins — How to Build a Product for Everyone

Kevin a remis l’église au milieu du village: pour servir tout le monde, il faut investir dans la recherche, même avec peu de moyens. Mieux cerner les segments critiques économise plus tard, évite l’“enshittification” et guide les arbitrages du trio impossible cheap/fast/good.
Il propose des stratégies réalistes pour petites équipes: cadrages légers, tests fréquents, priorisation par impact‑risque, et une ligne claire sur l’éthique produit. L’IA aide, mais ne remplace ni l’écoute ni la méthode.

Cassie Evans — Game On.

Cassie a codé un jeu en live avec GSAP, démontrant qu’animation et accessibilité peuvent coexister si l’on prévoit des préférences (reduce‑motion), des alternatives et un focus management propre. Le spectacle rappelle que l’interactivité n’est pas une fin: elle sert le sens quand elle reste sobre et contrôlable.
C’est aussi un plaidoyer pour l’apprentissage par le faire: prototyper, tester, itérer — et garder l’expérience lisible quand l’effet visuel se tait.

Conclusion

Ce cru 2025 raconte une même histoire, des design systems aux perfs en passant par l’accessibilité: revenir au réel. Le réel, c’est des contraintes (legacy, budgets, orga), des humains (émotions, contextes, handicaps), et des navigateurs qui évoluent plus vite que nos process. La voie médiane, c’est d’être exigeants sur les fondamentaux (performance, lisibilité, sémantique, accessibilité) et pragmatiques sur le reste (outils, frameworks, tendances). En clair: moins d’illusions de contrôle, plus de clarté, de mesure et d’intention. On rentre à Lausanne avec quelques to‑dos simples: auditer nos LCP, nettoyer du CSS historique, écrire des messages qui aident vraiment, et concevoir des dashboards qui répondent à “Et maintenant, je fais quoi?”. Le web est un médium flexible — à nous de l’être autant que lui.